Paracha Balak - réflexion sur l'antisémitisme
L'Antisémitisme d'un œil nouveau par Claude Simon Touaty Texte écrit en 2014 dans le contexte de l'opération « bordure protectrice » (intervention de Tsahal à Gaza, en été 2014)
Afin que l'homme perçoive les réalisations de son prochain avec un regard toujours plus équilibré et que l'aventure humaine ne débouche pas in fine sur une impasse, la tradition juive rappelle par la bouche de ses plus grands maîtres que la providence dans sa grande sagesse a doté l'homme de deux yeux : l'un voué à la perception du mal, l'autre du bien. Cependant, il n'est pas assez que l'homme en soit nanti, il faut encore qu'il se garde dans son jugement le plus impartial de cligner des yeux afin de rendre compte dans un même regard et le plus objectivement possible de l'être dans son unité la plus profonde et la plus globale et non comme s'il eut été alternativement tout bon ou tout mauvais selon que ce fut l'un ou l'autre de ses yeux qui fut ouvert ou fermé. De la même manière, il ne doit pas se contenter, lorsqu'il statue sur la qualité morale de l'action humaine, de stimuler un seul de ses yeux, fut-il l’œil du bien. Non qu'il faille toujours conjecturer sur le fondement moral de chacune de ses actions et les appréhender sous l'angle de la suspicion, loin s'en faut, auquel cas les hommes seraient alors les dépositaires idéals et a priori d'une faute indélébile qui grèverait toute son action et par laquelle il se rendrait ontologiquement coupable ou suspect d'une culpabilité radicalement antinomique au judaïsme, mais qu'il doit juger les deux yeux grand ouvert. La centralité de cette position philosophique et morale sur laquelle le judaïsme insiste n'est pas qu'un simple parti pris qui traduirait un engagement moral vis à vis de l'autre, elle est l'emballage dans lequel viennent se ranger certains des mécanismes les plus profonds qui règlent les lois de l'Histoire telles que la tradition la conçoit, et dont la nécessité métaphysique rendrait fondamentalement possible une aventure humaine.
Cependant pour être tout à fait complet sur la position du judaïsme en matière de jugement moral ou même pénal, il nous faudrait rajouter que la tradition penche par tropisme naturel du côté d'un préjugé positif. Le "bon œil" comme le répète la Torah, doit toujours prendre l'avantage et guider a priori notre jugement. La vision de l'humanité véhiculée par le judaïsme et plus tard ses épigones, entérine l'inédit d'une ressemblance de l'homme à son Créateur. Ce postulat, en convoquant un parti pris positif nous enjoint de ne jamais désespérer des hommes. A l'exception d'Amalek ou de toute autre manifestation d'un mal radical qui échapperait à la définition d'un homme réparable.
L'histoire en fait serait en échec si la moitié de l'humanité percevait l'autre qu'au travers de l'un ou l'autre de ses yeux, dans la mesure où il n'existe pas à ce jour d'expérience humaine, individuelle ou collective, qui ne soit pas un compromis d'actions bonnes et mauvaises. Si je juge l'autre qu'au travers de l’œil qui ne reflète que ses bonnes actions et que j'occulte volontairement le reste peu fréquentable de ses mauvaises, j'offre au mal une autoroute qu'il saisira comme un encouragement à se développer, et à terme, prendra le dessus sur le bien commun et conduira l'Humanité à s’écraser immanquablement. C'est l'impératif de lucidité qui préside ici. Si, en revanche, je stimule l’œil qui ne perçoit chez mon semblable que les actions mauvaises, je risque au contraire, en fermant l'autre, de le disqualifier et de le condamner, alors qu'il porte peut-être des trésors inconnus. De plus, ne sachant pas reconnaître qu'il est peut être capable du meilleur, de lui retirer trop rapidement sa capacité à se réparer après avoir trébuché.
Dans le livre des Nombres (22:2-25:9), un récit très édifiant vient fonder notre propos. C'est l'épisode de Balaq, du nom du roi de Moab, territoire qui se situe dans l'actuelle Jordanie. Après la sortie d'Egypte, les Hébreux franchissent le Jourdain pour s'installer en terre promise. Le roi de Moab, Balaq, pourtant beau-frère de Moïse, ne voit pas cette installation d'un très bon œil, si j'ose dire. Il convoque aussitôt Bilaam, prophète de son état, et lui demande de les maudire. Par souci de cohérence, il faut rappeler que Bilaam est dans le récit biblique une sorte de curiosité, puisqu'en tant que prophète non-hébreu, il est le seul spécimen de son état.
La haine que Balaq nourrit à l'égard des Hébreux ne se fonde sur aucun antécédent belliqueux et ne porte trace d'aucune faute que les Hébreux auraient à expier vis à vis des habitants de Moab et de son roi. De plus, depuis la sortie d' Égypte ni les uns ni les autres n'avaient été, directement ou indirectement, en commerce. Il s'agit, comme le souligne un commentaire du XVIIème siècle, d'une haine parfaitement irrationnelle dont la gratuité aussi bien que la monomanie obsessive qui la caractérise, fondent l’archétype de l'antisémitisme moderne. Et en effet, Balaq ne s'embarrasse pas de justifications, la présence des Hébreux dans la région suffit à le fonder et à lui faire jouer son destin et celui de son peuple comme si quelque chose d'essentiel dans l'extermination du peuple juif, qui relevait du métaphysique, en dépendait. Il met sur la table de Bilaam toute sa fortune et bien au-delà....l'équivalent de son Palais rempli de pièces d'or, on croit rêver, en échange de la disparition de ce Peuple, s'il parvient à convaincre Dieu qu'il est indésirable. Bilaam, petit-fils de Lavan, beau-père de Jacob, dont l’atavisme n'avait certes pas besoin d'un tel présent pour détester les Hébreux, finit par échouer lamentablement devant la fin de non recevoir de la sagesse divine. C'est l'effet contraire qui se produisit. La bouche de Bilaam, au lieu de la malédiction, proféra une bénédiction. Le mystère du renversement de la malédiction en bénédiction est un phénomène en soi qui, pour autant qu'il fut singulier ou inattendu, n'est pas unique. De nombreuses occurrences font trace dans le récit biblique.
Bilaam aura pourtant tout essayé pour réaliser son funeste forfait. Mais rien n'y fit. Ses lèvres comme mues par une poussée inconsciente furent incapables de retenir le lapsus. Chaque tentative fut l'occasion d'une nouvelle bénédiction qui rendait fou de rage Balaq. Le récit rapporte que Bilaam multiplia même les endroits de la malédiction. C'est sous différents angles qu'il souhaitait observer Israël. Peut-être qu'ainsi pourrait-il mettre en évidence une faille, un défaut qui, aux yeux de Dieu, auraient été rédhibitoires. Ainsi affaibli, ne recevant plus la protection divine, il propagerait le venin dans tout le corps qui en contaminerait l'unité.
Bilaam n'avait pas tort sur le fond. Il n'existe en effet dans ce monde aucun peuple qui peut prétendre à être totalement impeccable. Mais pour autant que son diagnostic fût exact, il se trompait lourdement. Il refusait justement de reconnaître que les défauts sont pour l'homme un tremplin, à condition qu'il se corrigeât bien sûr, pour retourner dans le giron de la loi morale. Bilaam était incapable d'une telle analyse, trop occupé qu'il était à lire le mal dans le monde et à prendre la pose du railleur. Il ne pouvait exercer sa prophétie que dans le cadre d'une vision tronquée et malveillante. Il ne jugeait les hommes qu'au travers de l’œil du cyclope. Un œil unique tout investi à débusquer les fautes et les défauts de l'humanité dans le seul but de mettre en échec la Création pour l'anéantir et démontrer finalement au Créateur que son projet n'était que foutaise. Grand prophète, mais prophète du mal, Bilaam n’exerça qu'une seule mission et ce fut sur Israël.
Force est de constater aujourd'hui que l'idéologie antisémite de Bilaam se porte bien. Il joue toujours un rôle délétère auprès du peuple juif . Après que cette idéologie eut conduit les juifs des pogroms de Russie, de Pologne, d'Ukraine, pour ne parler que de l'époque moderne, aux chambres à gaz de l'Allemagne nazie, voici qu'elle réapparaît dans un vêtement qui se veut plus politique, plus propre, au travers des multiples tentatives de disqualifications de l’État d'Israël. Et sous couvert de l'idée sournoise qu'il est possible de critiquer Israël, on instille en permanence le poison de Bilaam. Le regard porté est toujours dévastateur. Le parti pris et l'angle de vue toujours inique ont pour objectif de reléguer Israël au ban des nations ! Les condamnations des Nations Unies et de la communauté internationale sont pléthores et n'épargnent jamais ce pays. Jamais État n'aura été plus maltraité et si peu bénéficiaire de la clémence générale, de ce préjugé positif justement auquel je faisais allusion plus haut, dont jouissent toutes les nations du monde ! Que se serait-il passé si Israël se conduisait à Gaza comme les USA se conduisirent en Irak ou en Afghanistan ou comme les Français en Algérie et comme bien d'autres États encore qui se posent aujourd'hui en donneurs de leçons ? Il est préférable de ne pas y penser !
Dans le récit biblique, Bilaam n'exerce son industrie que sur le peuple juif. Les autres peuples n'ont pas à faire les frais d'un doute ontologique disqualifiant. Épargnés, ils peuvent bénéficier d'un regard équilibré et de la clémence générale. Israël quant à lui est toujours condamné à faire face à Bilaam. Il doit se résoudre à rendre systématiquement des comptes. Il est sommé de se justifier auprès des Nations et de s'excuser pour des crimes que d'autres ont commis et dont il est généreusement gratifié (Sabra et Chatila). Cette position inconfortable d'Israël consistant à courber l’échine sous l'accusateur, alors même qu'il est innocent de ce qu'on lui reproche, c'est ça l'antisémitisme moderne. Cela traduit également dans la mentalité juive non seulement un souci profond de la morale, mais surtout la certitude métaphysique dont il est, au travers des dix commandements l'unique dépositaire paradigmatique, que la condition humaine est une expérience perfectible !
Prenons un exemple emblématique pris de l'actualité la plus brûlante pour illustrer cet antisémitisme dont l'archétype se retrouve incarné dans ce monstre bicéphale Balaq-Bilaam dont parle notre paracha. Comment fonctionne l'idéologie de cette identité double et criminelle lors de la dernière condamnation publique d'Israël à l'ONU avec en arrière-fond l'opération bordure protectrice. On est stupéfait d'observer à nouveau avec une sorte d'amertume que les nations du monde ne s'offrent aucun répit quand il s'agit de nuire à Israël. On apprend de la bouche d'une "Bilaam moderne", la représentante des Droits de l'Homme à l'ONU, qu'Israël serait fautif de ne pas partager avec les Palestiniens de Gaza la technologie du dôme de fer ! Si la preuve était à faire qu'Israël subit le « deux poids, deux mesures » des nations, cet exemple, qui ne souffre aucun commentaire, suffit à lever le doute ! Mais il y a plus dans cette scène grotesque que nous joue sans vergogne cette représentante de l'ONU. Elle fait abstraction délibérément de l'immense révolution technologique en matière de défense qu'Israël apporte au Monde – technologie à laquelle son pays pourrait un jour recourir ! Ce qui l’intéresse, comme Bilaam qui ne voit que d'un œil, c'est d'appréhender Israël sous un angle impossible qui pourrait le disqualifier moralement aux yeux du monde !